Source [Causeur]
Entretien avec le Colonel Nicolas Meunier, chef de corps du 1er REC.
Unique au monde, la Légion recrute majoritairement des soldats étrangers prêts à se battre pour la France jusqu’au sacrifice suprême.
Outre son entraînement de haut vol, la force de cette institution réside dans la cohésion créée par la tradition et la mémoire. Entretien avec Nicolas Meunier, chef de corps du 1er régiment étranger de cavalerie.
Causeur. « Nous ne sommes pas militaires, mais légionnaires ». À la Légion étrangère, on est très attaché à la singularité de l’institution.
Colonel Nicolas Meunier. La Légion étrangère est une institution unique au monde. Il y a bien une Légion espagnole (la Bandera), mais qui ne recrute que des hispanophones – et d’ailleurs de plus en plus d’Espagnols. Quoique héritière d’une histoire bien plus ancienne d’étrangers venus prendre les armes pour la France, la Légion étrangère a été créée en 1831 par une loi de Louis-Philippe. Elle se différencie uniquement du reste de l’armée de Terre par le fait qu’elle recrute essentiellement des soldats étrangers. Que des étrangers viennent porter les armes et combattre est tout de même assez singulier ! En effet, la finalité du légionnaire, c’est le combat. Généralement un peu plus âgé qu’un engagé volontaire de l’armée de Terre, il a connu une autre vie, une autre expérience qui a pu mal se passer à un moment et le décider à s’engager dans la Légion étrangère.
La légende selon laquelle on rejoint la Légion pour racheter son passé par le sang n’est donc pas totalement fausse ?
C’est excessif. Certains légionnaires ont un passé à se reprocher, mais cela ne relève pas, aujourd’hui, de la grande criminalité, au pire de la petite délinquance. Toutefois, la légion est surtout la caisse de résonance de la géopolitique mondiale. Elle était très largement allemande à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, ensuite en partie anglaise, elle est actuellement un peu ukrainienne. Après la chute du mur de Berlin et les dix années d’anarchie qui se sont ensuivies dans la Russie postsoviétique, nous avons eu beaucoup d’anciens soldats russes qui cherchaient simplement un moyen de gagner leur vie. Cependant, nous avons près de 140 nationalités : des gens d’Amérique du Sud, des Asiatiques, peut-être un peu moins d’Occidentaux, même si, à une époque, nous avons recruté beaucoup de Roumains. Actuellement, nous voyons arriver de nombreux Brésiliens et Népalais, en plus des Ukrainiens. Malgré des tendances conjoncturelles, notre vocation universelle ne se dément pas.
« Que des étrangers viennent porter les armes et combattre est tout de même assez singulier ! »
Les relations hiérarchiques sont très affectives à la Légion. L’amour du chef et l’obéissance vont de pair.
À partir du moment où on demande à des gens de partir au combat, d’accepter contractuellement de mourir, la relation de confiance est fondamentale. Pour peu qu’on s’occupe d’eux avec sincérité et équité, les légionnaires sont extrêmement reconnaissants. Ils ont beau jouer les gros bras, beaucoup restent des étrangers, un peu perdus, dans les premiers temps. Ils sont pour beaucoup très loin de chez eux, de leur famille. Lorsque nous étions projetés au Mali, j’ai eu deux légionnaires qui ont respectivement perdu : l’un, son père en Ukraine, et l’autre, une mère au Brésil. On aurait pu les autoriser à partir. Ils ont choisi de poursuivre leur mission. S’ils acceptent ce genre de choses, c’est aussi par amour pour leur chef, par attachement à leurs camarades pour continuer à remplir la mission. Et, dans mes directives, je demande à mes officiers d’aimer leurs hommes et de les faire grandir.
Vous avez passé plusieurs mois au Mali, de février à juillet 2020. Quel est le sens de notre engagement là-bas ?
L’opération Serval a été déclenchée en 2013 pour stopper dans l’urgence un raid djihadiste dont l’objectif était Bamako. Par la suite, depuis 2014, l’opération Barkhane s’est installée dans la durée afin de résoudre une crise régionale profonde et accompagner un processus politique. Le Mali est à la croisée des chemins de beaucoup de fractures, entre agriculteurs et pastoralisme, entre de nombreuses ethnies, entre l’Afrique du Nord (le Maghreb, le peuple touareg) et les populations plus méridionales du Niger (Bambaras, Songhaïs). Tous ces groupes s’affrontent depuis des centaines d’années pour des pâturages ou des points d’eau. Cependant, avec le djihadisme, nous sommes confrontés à un problème nouveau : il faut le combattre là-bas pour éviter de l’avoir chez nous. Certains contestent cet état de fait dès lors que la plupart des terroristes qui ont pu sévir en France ne viennent pas de cette région. Cependant, le Sahel reste l’arrière-cour stratégique de l’Europe, nous avons donc intérêt à ce que le chaos n’y règne pas. Nous devons donc aider nos partenaires étatiques locaux à combattre l’islamisme et sa violence. Nous menons une guerre qui s’inscrit dans le temps long.
Nos armées ne sont-elles pas d’abord conçues pour des guerres interétatiques classiques ?
La volonté du chef d’état-major de l’armée de Terre est que nous soyons prêts pour tous les cas de figure, les engagements plus durs et une guerre future qui sera différente. Au Mali, on se bat contre des groupes dont les membres sont recrutés dans des populations désespérées, embrigadées parfois contre leur gré, manipulées par la propagande, contre des jeunes adultes en claquettes qui circulent à moto avec des kalachnikovs. Même s’ils peuvent, par la force du nombre, commettre des atrocités, ce n’est pas une guerre interétatique ou « symétrique ».
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