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La guerre Ukraine-Russie, prémices d'un grand basculement

  • evpf29
  • il y a 7 heures
  • 10 min de lecture
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La réunion d'Anchorage, en Alaska, le 15 août dernier, entre le président américain Donald Trump et son homologue russe Vladimir Poutine, événement considérable après trois ans et demi de guerre et une absence totale de dialogue à ce niveau, devait ouvrir enfin la voie à la négociation visant à obtenir la fin de la guerre et, à terme, un accord de paix viable. Une rencontre bilatérale entre les présidents ukrainien et russe, puis une réunion trilatérale (Etats-Unis/Russie/Ukraine), sans que le calendrier soit précisé, étaient évoquées laissant entendre que des points d'accord étaient validés. La situation semble cependant, près d'un mois plus tard, bloquée et il peut être utile de tenter d'en décrypter les raisons. Quoi qu'il en soit, il faut bien comprendre que derrière ce sommet s'est joué une bataille d'images et de récits antagonistes : celle d'une Amérique qui veut réaffirmer sa suprématie militaire et son hégémonie face à celle d'une Russie qui les refuse et conteste l'ordre unipolaire et ses élites globalistes. Mais cette bataille devenue inévitable avec cette guerre ne constitue-t-elle pas le véritable défi des décennies qui viennent ?

 

Tout d'abord, que sait-on vraiment du résultat des discussions engagées lors de cette réunion bilatérale en Alaska ? En réalité, Donald Trump et Vladimir Poutine se sont séparés sans rien dévoiler d'un éventuel plan de paix. Les gestes amicaux et les déclarations encourageantes n'ont pas manqué, mais cette rencontre qui devait s'étaler sur six à sept heures n'a duré que trois heures et le déjeuner prévu a été annulé. Par ailleurs, en diplomatie, la sémantique a son importance. Dans ses déclarations, le président américain a parlé d'une réunion très productive, ce qui signifierait que l'entretien a généré des résultats significatifs ou aurait atteint des objectifs spécifiques. Le président russe, lui, a évoqué un entretien constructif, ce qui témoignerait plutôt d'une approche qui contribue à construire ou à faire avancer les choses de manière positive mais qui nécessite du temps. Ces deux appréciations ne sont pas définitivement contraires, mais elles ne sont pas non plus totalement équivalentes. Il faut donc admettre que cette différence d'appréciation des deux présidents, dans une réunion qualifiée d'historique par de nombreux observateurs, et qui visait à obtenir un début d'accord, traduit, en fait, un désaccord dans l'analyse de la situation et de la réponse à y apporter, confirmé d'ailleurs par l'absence de l'annonce de résultats concrets. La réalité est que si cette réunion n'est pas totalement un échec pour la paix, puisque le dialogue a été rétabli, elle révèle des désaccords majeurs. A la demande de cessez-le-feu exprimée par le président américain, son homologue russe a opposé son veto et a insisté sur la nécessité de prendre en compte les causes du conflit pour aboutir à un accord de paix durable.

 

En fait, la volonté de Donald Trump – en opposition totale avec son prédécesseur – d'arrêter cette guerre s'est heurtée à l'intransigeance de Vladimir Poutine qui avait, avant même cette réunion, posé ses conditions à un accord de paix. La situation est donc extrêmement complexe car cette guerre est, au fond, une guerre par procuration entre les Etats-Unis et la Russie. Par ailleurs, la posture de la Coalition des volontaires, menée par le Premier ministre britannique et le Président français et agissant en électron libre, n'est pas de nature à inspirer et à instaurer la confiance dans le processus de négociations engagé. Ce serait même le contraire. Le risque est alors de bloquer ce dernier et d'entraîner des dizaines et des dizaines de milliers de morts supplémentaires de part et d'autre. Mais jusqu'à quand ? Jusqu'à la capitulation de l'Ukraine qui deviendra inévitable faute de combattants ? Il faut donc rappeler certaines réalités incontournables qu'il serait dangereux d'ignorer pour des raisons inavouables.

 

Première réalité, les Etats-Unis ont une politique étrangère qui est constante quel que soit le président en place : ils sont hantés par la primauté mondiale. Maintenir cette primauté mondiale implique nécessairement d'empêcher l'émergence d'une puissance rivale que ce soit la Russie, la Chine ou une coalition d'Etats européens. Il s'agit, en fait, d'éliminer tout rival, qu'il soit allié ou adversaire. Cette vision hégémonique est parfaitement expliquée par Zbigniew Brzezinski dans son ouvrage retentissant « Le grand échiquier » (1997) dans lequel il a identifié les trois leviers qui doivent permettre aux Etats-Unis de conserver le premier rôle dans les affaires du monde au XXI ème siècle : contenir la poussée de la Chine, poursuivre la division des Européens et couper la Russie de l'Ukraine. « L'Amérique doit absolument s'emparer de l'Ukraine, parce que l'Ukraine est le pivot de la puissance russe en Europe. Une fois l'Ukraine séparée de la Russie, la Russie n'est plus une menace ». En deux phrases, ce qui est désigné comme un objectif à atteindre ne peut être compris, alors que la Guerre froide est terminée, que comme une déclaration de guerre avant l'heure, déclaration de guerre concrétisée en 2014 avec le coup d'Etat de Maïdan et le renversement du président pro-russe Ianoukovitch. Entre-temps, en cohérence avec leur projet hégémonique, les Etats-Unis ont entrepris l'élargissement de l'OTAN jusqu'aux frontières de la Russie avec pour objectif sa déstabilisation et, à terme, son démembrement ouvertement évoqué au sein de cercles de réflexion et dans des études, en encourageant le séparatisme ethnique, projet pour le moins inamical. En outre, la promesse non tenue de ne pas étendre l'OTAN vers l'Est en échange de la réunification de l'Allemagne et les accords de Minsk utilisés pour organiser et armer l'Ukraine sont des leçons retenues par les responsables russes pour la conduite de négociations avec les Etats-Unis. On peut donc comprendre la difficulté pour la Russie d'aborder aujourd'hui les négociations présentes en faisant confiance aveuglément, sans certitude d'obtenir au bout une paix durable qui sera respectée par tous, les promesses précédentes n'ayant pas été tenues. Enfin, il faut bien reconnaître que malgré les déclarations de Donald Trump sur la nécessité d'obtenir un accord de paix, les Etats-Unis n'y ont peut-être pas intérêt dans l'immédiat. L'intérêt n'est-il pas d'abord, en effet, de vendre des armes à l'Ukraine, fournies par l'OTAN mais financées par l'Europe ?

 

Deuxième réalité, des leçons retenues de l'évolution de la situation depuis la fin de la Guerre froide avec l'élargissement de l'OTAN et ses conséquences, la Russie n'est certainement pas prête à signer n'importe quel accord de paix. Car il est essentiel de s'attaquer à l'architecture de sécurité européenne défaillante depuis la fin des années 1990 avec une OTAN qui n'a cessé de s'approcher des frontières russes, alors qu'en 1997 était signé l'Acte fondateur sur les relations entre l'OTAN et la Russie et qu'en 2002 était instauré le Conseil OTAN-Russie (instance de consultation, de coopération, de décisions et d'actions conjointes). C'est précisément cette architecture de sécurité européenne qu'il convient urgemment de revoir et d'établir comme socle des garanties de sécurité de tout le continent européen. Ces garanties de sécurité tant invoquées pour l'Ukraine par ses soutiens ne peuvent pas ne pas l'être également pour la Russie. On ne peut pas, en effet, parler de paix avec la Russie tout en niant ses propres intérêts de sécurité. C'est pourquoi elle n'accepte pas le cessez-le-feu proposé par les Etats-Unis qu'elle considère comme un piège qui serait un obstacle pour obtenir un réel accord de paix car il permettrait aux Ukrainiens, avec l'aide de leurs soutiens, de reprendre des forces et de se réorganiser et de se réarmer en attendant des jours meilleurs (laps de temps qui pourrait durer) avant de reprendre le combat. Pour la Russie, c'est niet et il faut impérativement revenir aux causes de ce conflit existentiel pour elle. C'est le cœur du sujet. Les accords de Minsk n'ont été qu'un prétexte, conforme au projet hégémonique des Etats-Unis, pour permettre à l'Ukraine de s'armer et d'être formée par l'OTAN pour lui faire la guerre. En réalité, pour les dirigeants russes, les seules garanties de sécurité possibles pour l'avenir consistent à annexer les oblasts de l'est de l'Ukraine, historiquement liés à la Russie, et à démilitariser le reste du pays en en faisant une zone tampon neutre lui interdisant toute adhésion à l'OTAN. Cette solution écarterait toute possibilité ou intention des Etats-Unis d'utiliser à nouveau l'Ukraine comme proxy, dans le futur, contre la Russie qui insiste sur les promesses non tenues, notamment les conditions de la réunification de l'Allemagne qui excluaient toute adhésion à l'OTAN de la Géorgie et de l'Ukraine. On peut donc penser que, comme les Etats-Unis mais pour d'autres raisons, la Russie n'a peut-être pas intérêt à ce qu'un accord de paix soit signé dans l'immédiat pour lui permettre de consolider sa position sur le terrain, ce qui repousse aux calendes grecques une réunion bilatérale avec le président ukrainien.

 

Troisième réalité, enfin, l'Ukraine mal conseillée a commis une faute inqualifiable en déclenchant le bombardement intensif du Donbass, le 15 février 2022, qui devait précéder une opération terrestre punitive contre les autonomistes. C'est ce pilonnage meurtrier de populations civiles qui a poussé la Russie à intervenir une semaine plus tard, le 24 février. En ne voulant pas comprendre que cette guerre était une pure folie et en refusant, sous la pression des anglo-saxons, de signer l'accord élaboré quelques semaines plus tard, le président Zelensky a une immense responsabilité dans la situation catastrophique de son pays, car cette guerre était perdue d'avance. Avoir persisté dans l'erreur est criminel. Ses déplacements incessants auprès de ses soutiens, ses demandes répétitives de moyens, ses exigences présentées à la Russie ne changeront rien au constat définitif et cruel : il a saigné son pays, avec la perte de plus d'un million d'hommes (tués + disparus + blessés), pour une adhésion à l'OTAN qu'il n'obtiendra jamais. Il a perdu cette guerre et malgré cela il voudrait imposer ses conditions au vainqueur. En fait, il ne peut pas ne pas avoir compris qu'un accord de paix se traduira inévitablement par la perte de territoires. Cette guerre n'est-elle pas alors devenue l'assurance de rester au pouvoir pour le président Zelensky ? Mais ne sera-t-il pas finalement contraint, au bout de ce long chemin de croix, à capituler dans des conditions encore plus dramatiques (oblasts de Kharkov et d'Odessa) ? Son sort n'est décidément pas enviable.

 

C'est dans ce contexte de réalités intangibles qu'il serait illusoire et dangereux d'ignorer, que des va-t-en-guerre en puissance, réunis dans une « Coalition des volontaires », voudraient pourtant imposer un cessez-le-feu pour déployer des troupes en Ukraine afin de garantir sa sécurité et dissuader la Russie de poursuivre les combats. Les Russes ne toléreront cependant aucune intervention étrangère qui serait jugée comme un casus belli. Cela dit, si 26 pays ont donné leur accord pour leur participation à cette coalition conduite par le Président français et le Premier ministre du Royaume-Uni, seule une moitié s'engage à fournir des troupes sans qu'aucune précision ne soit toutefois donnée sur les effectifs. En vérité, les va-t-en-guerre européens ne veulent pas reconnaître ce qui est devenu leur défaite et s'offusquent d'avoir été ignorés dans les discussions engagées par les Etats-Unis et la Russie. Cette situation ressentie comme une humiliation les aveugle et les entraîne dans une fuite en avant irrationnelle de poursuite de la guerre qui ne peut que retarder l'échéance inéluctable. Ils persistent dans la politique du pire et jouent finalement leur survie politique. Ils ne veulent pas admettre que cette guerre provoquée est existentielle pour la Russie pour qui les seules garanties de sécurité pour l'ensemble du continent européen, en opposition radicale avec la vision de la Coalition des volontaires qui veulent renforcer l'armée ukrainienne, résident au contraire dans la démilitarisation de l'Ukraine en en faisant une zone tampon neutre. Est-il raisonnable et, en réalité, n'est-il pas criminel d'encourager le président ukrainien à continuer un combat perdu d'avance qui ne peut que provoquer encore plus de morts et de destructions ? Par ailleurs, comment le président français pourrait-il imposer le cessez-le-feu à la Russie, puissance nucléaire majeure ? Alors oui, il a, dans une certaine mesure, raison lorsqu'il affirme que cette guerre est existentielle pour l'Europe. Ce qu'il omet simplement de préciser, c'est qu'elle est existentielle pour les globalistes qui ont ouvert la boîte de Pandore en provoquant un conflit avec la Russie pour ce qu'elle représente, un obstacle au monde unipolaire et à ses élites globalistes. Cette guerre est donc une erreur stratégique monumentale dont les conséquences pourraient conduire à un point de bascule irréversible pour les relations internationales entre un Occident déclinant et un nouveau monde qui se constitue, les BRICS, et qui refuse désormais sa domination. On aurait souhaité que les nouveaux Mozart de la géopolitique et de la géostratégie soient aussi volontaires pour combattre la vraie menace qui pèse sur l'Europe et en particulier sur la France et sur le Royaume-Uni, à savoir l'islamisme bras armé de l'islam conquérant. 

 

Les conséquences d'un tel enchaînement de décisions successives contraires aux intérêts de l'Europe et du monde occidental en général seront dramatiques. La première faute est d'avoir poussé imprudemment, avec cette guerre qui aurait pu être évitée, la Russie dans les bras de la Chine dont elle se méfie pourtant. Par ailleurs, la politique brutale des Etats-Unis sur les droits de douane a conduit l'Inde à marquer son agacement et à se tourner résolument vers la Russie et la Chine, tous trois étant membres des BRICS et de l'OCS (Organisation de Coopération de Shanghaï). C'est dans ce climat de tensions et de méfiance à l'égard de l'Occident que s'est tenu le sommet de l'OCS réunissant une vingtaine de pays à Tianjin, en Chine, et dont les travaux ont cristallisé leur détermination  commune à refuser dorénavant la domination du monde occidental. Indiscutablement, ce sommet illustre un tournant géopolitique majeur qui conduit à une recomposition du monde qui impactera radicalement les relations entre le monde unipolaire et ses élites globalistes d'une part, et les partisans de l'Etat indépendant et du monde multipolaire d'autre part. Ce sommet confirme bien l'ambition de ce nouveau bloc de représenter une alternative crédible au bloc occidental. La création par l'OCS d'une banque de développement qui représente une avancée, le rapprochement Chine/Inde/Russie avec plus de 3 milliards d'habitants, le renforcement de la stature de la Chine se positionnant comme leader dans la promotion d'un ordre mondial multipolaire visant à remplacer le modèle unipolaire dominé par les Etats-Unis sont autant de points de nature à provoquer une vive inquiétude au sein du monde occidental. Donald Trump en a certainement pris conscience. Ne sera-t-il pas amené à lâcher l'Ukraine pour tenter de contrer l'émergence de cette menace en cédant à la Russie certaines de ses exigences pour obtenir un accord de paix, dans l'espoir de la ramener dans une position moins anti-occidentale ?

 

La démonstration est ainsi faite de l'absurdité de cette guerre par procuration, pensée et préparée depuis la fin de la Guerre froide et provoquée par les Etats-Unis en début d'année 2022. On ne peut que réitérer et déplorer l'inconséquence et l'irresponsabilité des dirigeants européens pour leur suivisme qui va coûter très cher à l'Europe, à tout point de vue, car elle sortira très affaiblie politiquement et économiquement de ce conflit perdu, étant, de plus, incapable de reconnaître le véritable ennemi existentiel. On ne peut, enfin, que regretter le rendez-vous avec l'Histoire auquel s'est soustraite la France qui présidait pourtant l'Union européenne au premier semestre 2022 et qui lui aurait permis de sauver l'Europe et éviter à l'Ukraine de devoir signer la paix dans des conditions désastreuses. Ce faisant, cette hostilité orchestrée contre la Russie qui ne menaçait pas l'Europe aura poussé cette dernière de façon inconsidérée dans les bras de la Chine, véritable concurrent et adversaire de l'hégémonie des Etats-Unis. Les décisions des dirigeants occidentaux ont donc provoqué, par leur manque de vision, le début d'un basculement de l'Histoire créant ou renforçant un nouveau bloc, inspiré par la Chine, qui semble déterminé à contester l'actuel monde unipolaire dominé par les Etats-Unis et qui représente, à terme, une menace. Cette bataille provoquant l'émergence d'une future confrontation de deux blocs antagonistes constitue le défi des décennies prochaines.

 

Le 09 septembre 2025                           Antoine MARTINEZ (général 2s)

 
 
 
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